Deux générations de la dynastie de sculpteurs italiens, les Juste, ont travaillé à Tours dans la première moitié du XVIe siècle. Originaires de Toscane, les trois frères Antonio, Giovanni et Andrea (Antoine, Jean Ier et André), alors âgés d’une vingtaine d’années, s’installent entre Tours et Amboise au début du XVIe siècle. Les fils d’Antoine et de Jean Ier, respectivement Juste, né en Italie en 1501, et Jean II, sculpteurs comme leurs pères, œuvrèrent également dans la région. Les Juste faisaient partie des artistes et artisans transalpins, gens de métiers recherchés pour leur habileté et leur savoir-faire, qui émigrèrent en France, encouragés par la perspective d’entrer au service du roi ou d’un grand dignitaire. Bien que leur production soit mal connue, les archives témoignent de leur présence en Touraine : ainsi, les armuriers lombards Balsarin de Trez et Jacquemin Ayrolde s’étaient installés à Tours dans la seconde moitié du XVe siècle et, quelques décennies plus tard, Girolamo Paciarotto (Jérôme Pacherot), un tailleur de pierre de Fiesole, en fit de même après avoir suivi Charles VIII lors de son retour de la campagne d’Italie en 1495 [Bardati, 2013, p. 210].
Trois frères sculpteurs
Les frères Juste étaient originaires de San Martino a Mensola, un petit village à quelques kilomètres de Florence et de Fiesole. Ils furent formés par leur père Giusto d’Antonio di Michele, maître maçon, tailleur de pierre (scarpellino) et propriétaire d’une carrière de pietra serena, cette roche grise typique de l’architecture florentine. A leur arrivée en France, ils étaient des sculpteurs confirmés.
La date exacte de leur arrivée est inconnue. Antoine, l’aîné de la fratrie, reçut en 1506 un paiement pour le modèle d’une médaille en or offerte au roi Louis XII à l’occasion de son entrée à Bourges en 1505. En 1508, le sculpteur était au château de Gaillon, la demeure du cardinal Georges d’Amboise, pour lequel il réalisa un bas-relief de la Prise de Gênes (détruit) et un collège apostolique en terre cuite pour la chapelle haute du château (le Christ et Saint Jacques sont conservés à l’église paroissiale de Gaillon et la tête de Saint Pierre au Louvre). À cette époque, Jérôme Pacherot travaillait également sur le chantier du cardinal. Les liens entre ces artistes s’étaient vraisemblablement tissés sur leur terre natale avant leur arrivée en France [Bardati, 2013, p. 209] ; il est probable que ce soit Pacherot, de passage à Florence en 1500 pour acheter des marbres pour le compte d’Anne de Bretagne, qui a convaincu les Juste de tenter leur chance de l’autre côté des Alpes [Bardati, 2013, p. 216]. En 1514, Pacherot et le peintre florentin du nom de Barthélemy Guiet témoignèrent en faveur des trois frères à l’occasion de leur naturalisation. Antoine Juste dut avoir une production importante : en 1516, lors de l’achat des marbres pour le tombeau de Louis XII à Carrare, il est mentionné comme sculpteur du roi [Bardati, 2013, doc. 16.1].
Jean Ier Juste semble avoir quitté Florence peu après janvier 1503. Vers 1505-1507, il reçut la commande du tombeau de l’évêque Thomas James pour la cathédrale de Dol-de-Bretagne [Bardati, 2013, p. 215]. En 1516, il collabora avec Antoine au tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne et il prit la direction du chantier à la mort de ce dernier en 1518, secondé par son neveu Juste. En 1521, date à laquelle Jean Ier porte le titre d’imagier du roi, il met fin à leur collaboration [Bardati, 2013, p. 215] [Renumar, 1er juillet 1521]. Le tombeau royal, réalisé dans les ateliers des Juste à Amboise puis à Tours, ne fut achevé qu’en 1531, date à laquelle les sculptures mises en caisse furent transportées par un bateau de Tours à Saint-Denis afin d’être installées dans la basilique. Entre-temps, Jean Ier s’était associé au sculpteur Pierre de Brinbal dit Chevrier [Renumar, 9 juin 1525], fils du maître maçon tourangeau Jean Chevrier, pour la confection d’un groupe en terre cuite de la Mise au tombeau destiné à la chapelle Saint-Pierre de la cathédrale du Mans. En 1525, les deux hommes, vraisemblablement très sollicités par ailleurs, s’adressèrent à André Juste, alors qualifié de « tailleur d’ymages et paintre demourant audit Tours » [Renumar, 9 juin 1525], pour mener à bien cette entreprise. Une autre commande occupa Jean Ier Juste jusqu’en 1530 : celle du tombeau de Louis de Crevant, abbé de la Trinité de Vendôme. L’œuvre était terminée avant mai 1530 lorsque Jean Ier en confia le transport de Tours à Vendôme à trois voituriers de Vouvray et de Rochecorbon [Renumar, 11 mai 1530]. On attribue également à Jean Ier et à son atelier un relief en albâtre figurant La Mort de la Vierge (Paris, musée du Louvre) sans doute réalisé à Tours entre 1535 et 1538 et destiné à l’une des chapelles de l’église Saint-Jacques de la Boucherie à Paris. La composition dérive, comme plusieurs autres œuvres tourangelles (Mort de la Vierge, v. 1540, musée des Beaux-Arts de Tours ; vitrail de l’église de Baillou, Loir-et-Cher) d’un retable perdu de Jean Hey [Reynaud, 1987, p. 121-129], mais par l’intermédiaire d’un retable en marbre ou en albâtre sculpté en 1502 par Michel Colombe pour l’église Saint-Saturnin à Tours [Bresc-Bautier, 2020, cat. 34]. Jean Ier possédait une métairie à Chanceaux [Renumar, 21 octobre 1521], des terres sur la prévôté d’Oé [Renumar, 2 janvier 1522] et une maison à Tours à l’angle de la rue de la Scellerie et de la rue du Cygne [Renumar, 22 janvier 1522].
La vie et la carrière d’André sont moins bien connues, excepté pour sa collaboration au groupe manceau. Ses liens avec Tours sont antérieurs à 1514 puisqu’à cette date, selon ses lettres de naturalité, il est déjà marié à une tourangelle prénommée Janneton [Bardati, 2013, doc. 14].
La seconde génération
La seconde génération poursuivit l’activité familiale en France. Juste, le fils d’Antoine, collabora avec son oncle Jean Ier jusqu’en 1521. L’année suivante, alors qu’il n’était âgé que de vingt ans, il acheta avec sa mère une maison rue de la Guerche qui appartenait à Philibert Babou, alors trésorier de France, et à sa femme Marie Gaudin [Renumar, 17 février 1522]. En 1529, il résidait toujours à Tours comme en témoignent les paiements du roi pour plusieurs statues en marbre dont un Hercule et une Léda [Jal, 1872, p. 711]. Son activité sur le chantier de Fontainebleau entre 1532 et 1538, où il exerçait en tant que « sculpteur en marbre du roi » [Tours 1500, p. 198], ne l’empêchait pas de répondre à des commandes tourangelles. En 1537, la municipalité de Tours le chargea d’exécuter une statue de la Vierge qui devait être en terre cuite et « estoffée (peinte) à l’huile, d’or, d’azur et autre coulleurs » [Giraudet, 1885, p. 238]. Quant à Jean II, une quittance [Giraudet, 1885, p. 234 ; Fillon, 1864, p. 75] permet de lui attribuer le tombeau de Claude Gouffier dans la collégiale Saint-Maurice d’Oiron, aujourd’hui fortement détérioré. Le sculpteur était, comme ses aînés et son cousin, actif à Tours où il louait un corps de logis rue de la Scellerie [Giraudet, 1885, p. 235]. On fit appel à lui pour réaliser en 1561 les parties en marbre de la nouvelle fontaine de la place Foire-le-Roi [Giraudet, 1885, p. 235].
Au tournant du XVIe siècle, les Juste contribuèrent à l’épanouissement de la première Renaissance française dans le domaine de la sculpture. Le tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne synthétise les nouveautés qu’ils introduisirent dans l’art français : monumentalité de la structure architecturale à l’antique, répertoire ornemental issu du Quattrocento florentin et statues marquées par un classicisme affirmé.
Bibliographie
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Des collines florentines à Tours : Antoine Juste et sa famille », dans Boudon-Machuel Marion (dir), La sculpture française du XVIe siècle, Le Bec en l’air, 2012, p. 167-181.
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Jérôme Pacherot et Antoine Juste : artistes italiens à la cour de France », dans Studiolo, 9, 2013, p. 209-254.
Boudon-Machuel Marion, « Antoine, Jean et André Juste à Tours », dans Tours 1500. Capitale des arts, Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie (dir.), catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, p. 197-199.
Fillon Benjamin, L’art de terre chez les Poitevins, Niort, L. Clouzot, 1864.
Jal Auguste, Dictionnaire critique de biographie et d’histoire : errata et supplément pour tous les dictionnaires historiques…, Paris, 1872.
Reynaud Nicole, « Un retable perdu du Maître de Moulins », dans « Il se rendit en Italie », études offertes à André Chastel, Rome, Edizioni dell’Elefante, 1987, p. 121-129.